Energie, économie, …quand l’écoféminisme met son nez dans les affaires des mecs

Le nombre de publications sur le féminisme et sur l’écoféminisme ne cesse de croire. Difficile de repérer les incontournables dans ce foisonnement. Au delà de quelques classiques, j’ai retenu ici des ouvrages militants qui lorgnent plutôt du côté de l’argent et de l’énergie, ne mâchent pas leurs mots et apportent un éclairage à intégrer dans nos réflexions sur les évolutions de nos économies.

L’écoféminisme, une bannière à la mode?

Pour revenir à la source de ce concept, il faut se tourner vers Françoise d’Eaubonne et son livre « le féminisme ou la mort » écrit en 1974. Pour ma part ce sont la biographie « l’Amazone verte » et le volume de la collection « précurseurs de la décroissance » qui m’ont permis de comprendre le personnage de Françoise d’Eaubonne et ses analyses pionnières et sans concession. L’autre grand nom est celui de l’Américaine Carolyn Merchant qui en 1973 sort « la mort de la nature ».

Si il faut redéfinir l’écoféminisme, on peut dire qu’il s’agit d’une grille d’analyse qui considère que la violence faite aux femmes et celle exercée sur la nature ont des racines communes dans l’organisation patriarcale et industrielle de la société.

Ce concept a été porté en Inde par Vandana Shiva, qui a mené des actions fortes dans son pays pour lutter contre les modèles agro-industriels des multinationales de la chimie et pour préserver les semences en donnant un rôle important aux femmes. Devenue très médiatique, elle porte encore le sujet de l’écoféminisme à l’international, même si c’est de façon peu nuancée et un peu caricaturale aujourd’hui.

Wangari Muta Maathai a aussi porté le sujet de la reforestation grâce aux femmes au Kenya.

Pour ajouter une dimension à la fois activiste et spirituelle – qui en tant que Français.es ne nous met pas forcément à l’aise – chez Cambourakis, on peut trouver la collection Sorcière et les ouvrages de Starhawk et aussi l’excellente anthologie « reclaim » qui met en lumière les personnalités, américaines, clés de la mouvance écoféministe.

Pour un regard très actuel et approfondi de la question, la Française Jeanne Burgart Goutal a publié « être écoféministe » et précise sa pensée dans une interview à Socialter.

Et si vous cherchez un seul livre à lire pour un tour d’horizon synthétique et très clair, je conseille « l’écoféminisme » de Catherine Larrère à La découverte.

Quand les femmes parlent finances, argent et dette

Donna Haraway dans son « Manifeste Cyborg » en 1985 a initié la réflexion sur le fait que le féminisme ne doit pas considérer la nature et le sensible comme son seul champ d’actions et doit s’occuper de sciences et de technologie. Ce domaine ne doit pas être laissé au seul pouvoir masculin. Le Manifeste s’achève sur ces mots : « Je préfère être cyborg que déesse ».

Si il existe de nombreux sujets que croise le féminisme pour analyser les tensions sociales (genre, personnes racisées, pauvreté, handicap,..), il me semble intéressant de regarder des ouvrages qui veulent présenter une vision féministe de sujets qui ont été historiquement essentiellement préemptés par les hommes.

Le premier est l’argent, la finance et plus généralement l’économie. Eva Sadoun se fonde sur son expérience d’entrepreneuriat alternatif pour proposer une autre vision de l’économie dans « Une économie à nous ». Cette vision intègre une conception féministe de la valeur. C’est aussi un prisme qu’on retrouve dans les travaux d’Aurélie Piet « Quand l’homo-economicus saute à l’élastique…sans élastique » et dans « Ralentir ou périr » de Timothée Parrique.

« Nos vies valent plus que leurs crédits » est un ouvrage militant qui étudie les liens entre capitalisme, patriarcat et endettement. Les autrices analysent comment les femmes sont particulièrement fragilisées économiquement dans le travail, comment elles assurent et compensent les failles de la protection sociale et comment la société leur devrait une « dette reproductive » ou dette du « care ». C’est bien la question de changer notre vision de ce qui créé la valeur dans la société de demain qui est au coeur du débat.

La journaliste Titiou Lecoq pour sa part, a abordé en 2022 de façon très concrète et pratique le sujet du couple et de l’argent Le couple et l’argent – Pourquoi les hommes sont plus riches que les femmes.

Enfin, pour un prisme différent, la chercheuse Lucile Peytavin a étudié « Le coût de la virilité. Ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes ». Un bilan édifiant du coût de la délinquance et des conduites à risques, très majoritairement masculines.

Les énergies fossiles dernière frontière à défendre de la virilité?

Dans « Pétromasculinité »chez Wildproject Cara New Daggett a choisi d’étudier comment le monde de l’énergie et de l’extraction est à la fois caractéristique de l’exploitation décomplexée des ressources et en même temps d’un mode de vie qui glorifie la puissance virile américaine. Elle distingue d’ailleurs le modèle « pétromasculin » porté par Trump et sa version plus « clean » et moderne de Musk et ses solutions technologiques « plus vertes ».

système énergétique féministe

Elle y précise de façon intéressante que le monde de l’énergie est étudié essentiellement sous le prisme des sciences dures, Mais qu’on le regarde peu sous l’angle des sciences humaines. De fait, on ne cesse de nous dire que nous avons développé les énergies fossiles car elles apportent une grande efficacité énergétique. C’est vrai. Mais il est encore plus vrai que cette efficacité a été mise en oeuvre non pas purement pour le bien des hommes mais pour sa forte capacité d’accumulation des richesses et du pouvoir. L’autrice réfléchit ici aux systèmes énergétiques de demain, qui pourraient être tournés vers une meilleure répartition des usages prioritaires de l’énergie plus proches des communautés locales où elles sont produites et plus d’acceptation des limites technologiques au lieu de « forcer » des techniques et de devoir compenser leurs risques a posteriori.


Ces analyses croisées du féminisme et des enjeux écologiques et sociaux permettent d’élargir le champ des solutions envisageables pour faire évoluer nos économies en bousculant des logiques très ancrées dans nos sociétés industrielles.