Le lombric, l’ourse, le chêne… Aussi vivants que moi?

Mes lectures ont changé radicalement ma façon de regarder. Avant, il y avait la nature et moi. Maintenant il y autour de moi plein d’inconnus aussi vivants que moi, et certains ont des plumes, des poils, des antennes et des glands…

Accepter l’immobilité et la contemplation

Longtemps j’ai considéré le jardinage comme une corvée, et le petit jardin que j’avais, comme un endroit sympa pour déjeuner dehors. Mais son entretien était une perte de temps et une corvée et j’étais la seule de la famille à me les coltiner.

Ce qui me l’a rendu progressivement sympathique, ce sont mes yeux, mes oreilles et plus de temps immobile: découvrir que si je tondais peu, j’avais chaque année plus de violettes, que le figuier se développait tout seul et les framboises aussi. Que les tulipes ressortaient au même endroit.

lavande

Que la vigne vierge rougissait progressivement, d’abord sur le mur côté rue, puis côté jardin. Qu’être réveillée le matin par les oiseaux, même tôt, ça m’allait bien, puisque je me rendormais tranquille. Et que le pic épeiche dans l’amandier faisait autant de bruit qu’un bricoleur du dimanche. Accepter de rester posée dans le jardin, de regarder les choses banales de la nature et pas les grandes œuvres de l’humain, ça n’était pas naturel et ça m’a demandé des efforts, ou plutôt, les circonstances m’y ont amenées.

Nommer pour faire exister

Mais ce n’était qu’un petit bout du chemin. Il a fallu revenir en ville, au coeur du béton et du bitume, avec le couloir des avions de Blagnac comme chant du matin et du soir, pour que je comprenne ce que j’avais perdu.

C’est là que les lectures m’ont fait avancer. Si pour certains, c’est l’action et l’observation qui déclenchent le changement, je fais partie de ceux qui ont besoin de poser des mots pour décanter et avancer.

Plusieurs ouvrages m’ont permis de comprendre que chercher le nom des plantes, des animaux ou des insectes qu’on croise, c’est se mettre à les regarder. Comme des voisins ou des collègues dont on ferait (ou pas) l’effort de se rappeler le prénom quand on les croise dans l’ascenseur.

Grace à « un monde qui fond » j’ai découvert les noms d’espèces des montagnes que je ne connaissais pas. Avec Laurent Tillon dans « être un chêne » j’ai capté l’énorme travail de chaque espèce, qui permet à la forêt de vivre, de régénérer, de perdurer: champignons, chêne, insectes, renards, oiseaux, hêtres , fougères, micro-organismes… Enfin dans les précieuses éditions naturalistes Biotope on trouve de nombreux livres et guides pour reconnaitre et observer plantes et animaux de nos régions ou du bout du monde.

Se décentrer

Le lombric, l'ourse, le chêne... Aussi vivants que moi

L’un des effets salutaires de l’humour est de dédramatiser. Le « petit traité d’écologie sauvage » et les autres BD d’Alessandro Pignocchi ont cette faculté de nous faire rire de l’absurde. Et en même temps, de nous dire qu’on pourrait tout à fait regarder le monde sous un autre angle. Avec de jolis dessins à l’aquarelle et un propos incisif, Alessandro Pignocchi nous dépeint notre monde auquel il applique les croyances animistes: l’homme, la faune et les végétaux ont les mêmes droits. Nous voilà dans un monde où les anthropologues jivaros étudient les ploucs normands avec perplexité, les familles se ruinent pour payer à leurs enfants des stages chez les anthropophages, les mésanges sont des écoterroristes et les hommes politiques devenus inutiles vivent dans des réserves naturelles.

En tant que chercheur en sciences cognitives, Pignocchi coopère notamment dans « ethnographie des mondes à venir » avec Philippe Descola. L’ensemble de son travail nous amène à comprendre comment nous avons créé le concept de nature pour en disposer et comment nous devons remettre en question cette logique aujourd’hui.

Baptiste Morizot dans « Sur la piste animale » et dans ses autres livres édités par Wildproject, croise l’observation de terrain avec les sciences humaines pour étudier notre rapport à l’animal et au vivant. Son écriture sensible nous plonge dans une réflexion originale sur notre posture dans la nature. J’y ai découvert que nos ancêtres frugivores obligés de devenir omnivores pour survivre, ont du pister, et donc développer une intelligence analytique et scientifique, une empathie et une imagination car ils n’étaient ni rapides, ni puissants. Et si vous suivez des traces aujourd’hui en forêt, vous pouvez redécouvrir votre place modeste dans la chaîne alimentaire car nous sommes aussi de la viande.

Plonger dans la forêt

Une série de romans ou de récits et témoignages sont particulièrement forts: ceux où l’homme se coltine avec les bêtes et les arbres physiquement.

aussi vivants que moi

J’ai pris beaucoup de plaisir à lire et découvrir la nature sauvage de l’Inde dans « de la forêt ». Ce roman à la magnifique couverture chez Zulma a été écrit dans les années 30. La beauté de la forêt, des fleurs et des plantes y est stupéfiante. Et la sagesse de certains hommes sème des graines sans relâche pour fleurir la jungle dans un geste d' »homme qui plantait des arbres » indien.

« L’arbre-monde » de Richard Powers est vraiment la fresque chorale idéale pour croiser tous les profils de personnages qui ont une historie avec les arbres. Très romanesque sans être convenu, les personnages tous différents, juristes, geeks, scientifiques, militants, anciens militaires, working girl, forment toutes les facettes de notre rapport aux arbres et de ce qu’il pourrait devenir.

Le corps-à corps avec les bêtes

Geoffroy Delorme relate dans « l’homme chevreuil » comment il a progressivement intégré un troupeau de chevreuils en vivant pendant 7 ans dans la forêt avec eux. Une curieuse expérience d’immersion dans un monde différent à côté de chez nous.

Deux femmes ont témoignés en parallèle de confrontations hors normes où le corps autant que l’esprit sont mobilisés. « Croire aux fauves » de Nastassja Martin, anthropologue spécialiste des peuples du grand Nord, qui y relate son corps à corps avec une ourse qui l’a attaqué au visage au Kamtchatka et Val Plumwood, philosophe qui fait le récit de sa survie à une attaque de crocodile dans « dans l’oeil du crocodile ». Deux leçons de vie, de survie et de rapport à l’autre.

Dans « Entre fauves » Colin Niel construit non seulement un polar haletant qui se balade entre les Pyrénées et la Namibie, mais aussi une réflexion fine sur ce que c’est d’être chasseur et chassé, sur qui a le droit de chasser ou pas.

La fusion entre les hommes et les bêtes est présente dans le roman estonien d’Andrus Kivirähk , qui mêle merveilleux, burlesque et pessimisme « l’homme qui savait la langue des serpents ». Presque comme un élément de normalité dans des cultures avec un fort héritage de paganisme, les ours et les hommes fondent des familles, les serpents vous invitent à hiberner dans leurs trous et les vieux guerriers estropiés renaissent de leurs cendres et s’envolent.

Tous ces récits oniriques, foisonnants, drôles, réalistes ou philosophiques ont ancré en moi de nouvelles perceptions du monde. Je vous souhaite de vous laisser également convaincre en douceur, que nous pouvons être dans le monde avec la joie d’observer et la modestie de faire équipe même avec les lombrics et les orties.