Si vous avez encore quelques illusions sur le caractère « magique » de l’économie numérique, il est salutaire de vous plonger dans « l’enfer numérique » En effet pour se préparer à faire autrement, il vaut mieux avoir capté la vue d’ensemble.
Guillaume Pitron est journaliste et mène une enquête qui donne un panorama assez complet et documenté sur les différentes facettes du numérique qui impactent nos vies et notre planète. L’auteur interpelle la génération climatique pour savoir si elle est prête à se désintoxiquer du numérique. La première chose qui saute aux yeux est que la filière numérique communique habilement et massivement sur une exemplarité écologique discutable : smart cities, accumulation des données, bilans carbones idéaux, croissance verte… Il note qu’il y a de nombreux décalages entre la réalité et l’affichage.
Impact n°1 : Nos équipements
Du point de vue des équipements, les constructeurs ont bâti notre dépendance et notre consommation à coup de sémantique, de design, d’UX et d’obsolescence programmée. Ce process est heureusement de plus en plus remis en question.
Pour mesurer l’impact d’un équipement il faut prendre en compte le CO2 produit, mais pas uniquement. Le MIPS mesure la quantité de matériaux et de ressources pour concevoir un produit et propose un bilan bien plus complet.
L’ADEME publie des guides très bien faits pour comprendre l’impact et changer nos habitudes. Ici sur le smartphones.
Impact n° 2 : Les data centers
Les datacenters sont des équipements hyperénergivores qui embolisent nos villes et s’implantent dans les espaces naturels les plus froids pour limiter leur dégagement de chaleur.
Chacun de nous doit repenser ses usages pour ne pas engorger ces infrastructures : il s’agira de faire : du nettoyage digital régulier, de changer notre manière d’utiliser le wifi et nos appareils connectés. Les modèles économiques sont aussi à questionner : remettre en question la gratuité, ou faire payer le prix au volume de données consommées.
Impact n° 3 : la course à l’innovation et à la performance
L’internet des objets, la 5G, l’IA le traitement des images, nombre de technologies innovantes trouvent un sens si les performances, la vitesse et la qualité augmentent sans cesse. L’innovation alimente la hausse de la consommation d’énergie et de ressources. Certaines filières nécessitent des gains de temps pour être plus rentables. La finance automatisée (passive) et le trading digital sont d’énormes consommateurs de data, de performance et d’électricité.
Pour certains analystes, l’IA pourrait à terme prendre des décisions plus écoresponsables que nous collectivement qui n’arrivons pas à nous accorder sur les mesures à prendre et les choses à changer. Un Léviathan vert nous surpasserait-il ou nous anéantirait-il ?
Impact n°4 : Les tentacules du cloud
Les flux d’information ne passent pas par les satellites, mais bien sous les mers dans des câbles. Tout se masse en fait dans la « soute » du net. C’est la lumière qui voyage dans les fibres optiques. Enfin se pose la question de la limite des capacités du réseau en fonction de notre boulimie de data. Certes il y a des solutions technologiques qui semble permettre de les repousser.
Mais les limites seront plutôt politiques, humaine et écologique pour imaginer la vie qu’on veut pour demain. La négociation du passage des câbles de l’autoroute de l’information devient politique et géostratégique, surtout en cas de conflit. Les programmes comme Arctic connect et les routes de la soie numériques chinoise en attestent. L’Europe doit aussi travailler à sa souveraineté numérique.
Quelle posture pour le numérique de demain ?
Guillaume Pitron conclue en présentant 2 postures différentes pour l’avenir :
- Les techno-précurseurs qui souhaitent anticiper les risques et mettre en avant certaines technologies qui peuvent nous aider à vivre un monde numérique responsable. C’est d’ailleurs surtout dans le travail des matériaux que se trouve l’avenir.
- Les frugaux et résilients qui travaillent sur les lowtechs.
Dans tous les cas il sera nécessaire et peut-être obligatoire à terme de prioriser les usages du net utiles au bien commun et de travailler à limiter les autres. Autant de pistes amenées par le livre et débattue dans les ateliers LIBLAB.