Les jardiniers superstars

Etre jardinier n’est plus une activité pépère pour retraité désoeuvré, mais un métier militant et inspirant. Comment est-ce arrivé?

La revanche du jardinier sur le paysagiste

Dans l’histoire des jardins, notre culture française s’est fait fort de domestiquer une nature au cordeau. C’est une partie de notre patrimoine, flamboyante au château de Versailles. Puis à la fin du XIXeme et au début du XXeme siècle le jardin était un refuge d’artiste vieillissant comme Monet, ou un décor désuet dans un monde épris de modernité.

Dans les années 70, l’Etat a créé une école du paysage. Architectes et paysagistes sont alors des métiers conceptuels et valorisants, le jardinier est un exécutant. Pourtant quelques pionniers comme Gilles Clément ont dès les années 90 réintroduit l’intérêt pour la botanique, la connaissance des plantes au premier plan.

C’est cet amour de la terre, de l’eau et des végétaux qu’on ressent à la lecture du « manifeste du jardin émotionnel » d’Arnaud Maurières et Eric Ossart. Un témoignage sensible du travail de créateurs de jardin dans différents environnements, avec une attention toute particulière au rapport à l’eau. Leurs jardins du Tarn, de l’Auvergne, du Maroc, du Brésil et du Mexique sont des créations uniques et superbes, ancrées dans un lieu.

Grandir dans un jardin, un privilège

Le fait d’avoir grandi dans un jardin forme une sensibilité au vivant et à la beauté qui reste ancrée pour ceux qui l’ont vécue. Parmi les classiques, on ne se lasse pas de lire les pages de Colette dans Sido ou dans d’autres ouvrages, où le jardin est un écrin de beauté, de sensualité, d’ouverture au monde.

Catherine Meurisse, dans Les grands espaces, raconte son enfance délicieuse et drôle, à gratter la terre à côté de parents qui ont fait des choix de vie assez radicaux dans les années 70. Elle y observe le monde rural et la nature d’un oeil frais et sans jugement, une proximité simple avec le vivant et la mort. Une expérience esthétique qui sème les graines de son travail d’illustratrice. A posteriori on envie cette enfance, qui pourtant à l’époque devait être assez décalée.

L’économie circulaire au jardin: faire avec ce qu’on a

Le mot qui désignait autrefois un jardin entouré de murets en Perse, serait à l’origine du mot « paradis ». Arnaud Ville dans « les jardiniers invisibles » magnifie et nous incite à regarder les insectes, ces invisibles qui aident à faire vivre le jardin et la nature.

Dans tout ces ouvrages, on observe un fil conducteur: aujourd’hui, faire un jardin, ce n’est pas faire ce qu’on veut, c’est faire avec ce qu’on a. Dans un lieu et pour un public donné, préparer et améliorer le sol, mais surtout faire avec le type de terre dont on dispose. Connaitre le prix et la rareté de l’eau et concevoir le jardin avec cette contrainte, qui va nous impacter de plus en plus. Et enfin comprendre les plantes, locales ou non, qui vont trouver leur place, cohabiter avec justesse et bonheur. Savoir faire des choix et les faire évoluer.

Leur manière d’envisager le jardin est à la fois belle et stimulante, pleine de curiosité, d’expériences à faire et nourrit la réflexion.

Le jardinier, modèle pour agir dans la durée

Enfin la manière de travailler d’un jardinier est une source d’inspiration pour les autres activités.

Le jardinier travaille pour le temps long. Il ne plante pas un arbre centenaire, il fait grandir ce qu’il ne verra peut-être pas aboutir. Remise en perspective du long terme, remise en question des indicateurs court terme. De vraies questions qui se posent sur nos façons de travailler et peuvent alimenter les réflexions des ateliers Liblab.

Le jardinier d’aujourd’hui fait avec ce qu’il a et accepte de modifier sa vision en fonction de la façon dont les occupants du jardin l’utilisent et le vivent: changer les circulations, enlever ce qui perturbe ou se contredit, remplacer ou laisser venir ce qui vient… L’adaptation, la sérendipité et l’agilité sont des qualités dont nous avons tous besoin dans nos activités professionnelles.

Que nous pratiquions ou non l’activité de planter, à modeste ou grande échelle, il y a beaucoup à apprendre des femmes et des hommes qui passent du temps au jardin. En plus du plaisir de regarder et d’être dans un jardin.