Réchauffement climatique: êtes vous plutôt autruche ou colibri?

Face au réchauffement climatique, pourquoi est-ce si difficile de changer significativement nos habitudes? George Marshall décortique avec humour les ressorts sociaux et psychologiques qui nous empêchent d’avancer individuellement et collectivement. Il livre aussi différentes pistes pour dépasser ce cap.

Nous sommes nombreux à avoir a peu près compris que le réchauffement climatique et l’usage des énergies fossiles plombent l’avenir de la planète et de toutes les choses vivantes qui s’y trouvent, nous compris. Mais pourquoi est-ce si difficile de changer significativement nos habitudes et de convaincre les autres d’en faire autant?

George Marshall, faux candide et vrai écologiste britannique, décortique avec humour et anecdotes vivantes de nombreuses facettes de nos comportements dans « le syndrome de l’autruche, pourquoi notre cerveau veut ignorer le changement climatique ». Il va interviewer et rencontrer des acteurs de toute la galaxie depuis les climatosceptiques jusqu’ aux experts du GIEC en passant par les entrepreneurs et d’éminents sociologues ou anthropologues. Les chapitres sont nombreux et balaient beaucoup de thématiques, mais ils sont drôles, courts et rythmés, très instructifs et l’auteur a un sens certain de la formule. Je tente ici une synthèse des enseignements clés du livre.

Comprendre ce qui nous paralyse

Les phénomènes climatiques extrêmes viennent renforcer nos biais de confirmation : ils confirment ce que nous pensons en fonction de nos convictions. De fait le public est plus touché par un récit émotionnel que par des arguments scientifiques. Et chacun croit plus ses pairs que les experts. L’ »effet du témoin » joue à plein : plus nous sommes nombreux à observer un phénomène plus nous nous calons sur les autres et la norme sociale.

si vos opinions sur le changement climatique diffèrent des opinions socialement admises, vous vous retrouvez à mesurer deux risques : celui, vague et hasardeux, du changement climatique et celui, certain et très personnel, de la transgression de la norme. »

Parler avec les climatosceptiques les plus virulents donne un certain vertige, puisqu’ils se présentent (de façon symétrique aux écologistes radicaux) comme les victimes d’un monde de règles et de normes injustes. Ils se dépeignent comme les résistants contre un nouveau danger international, un nouvel épouvantail qui remplace le communisme.

« L’absence d’ennemi identifiable est un véritable problème pour les médias qui essaient de parler du dérèglement climatique »

L’industrie des énergies fossiles est pour beaucoup de militants l’ennemi à abattre. Cependant la vérité désagréable à entendre est que pour le changement climatique, nous sommes des millions de coupables. Si nous n’acceptons pas notre responsabilité individuelle, nous nous préparons à chercher et trouver des boucs émissaires. Donc on ne peut pas fonder une prise de conscience sur des récits de lutte, mais sur des récits de coopération.

Notre cerveau analytique comprend le problème. Mais notre cerveau émotionnel a du mal à se mettre en action. Il lui faut des récits, de l’immédiateté, de l’expérience sensible.Le changement climatique ne présente pas un danger imminent, il est assimilé dans les phénomènes passagers et il est difficile à se représenter.

En revanche, chercher des solutions c’est souvent dégrader son niveau de vie à court terme pour réduire des pertes pas mesurables. Mais des exceptions apparaissent quand il y a une forte identité de groupe et une norme sociale favorable. Alors les gens font des sacrifices pour œuvrer contre un ennemi commun.

Nous créons une chronologie qui nous arrange : elle ne nous rend pas trop responsable du passé et ne nous pousse pas trop à changer vite l’avenir.

La difficile communication sur le réchauffement

L’incertitude est un argument majeur des climato-sceptiques. Si un scientifique dit qu’il n’est pas certain, un quidam comprendra qu’il n’est pas sûr. En général les climato-sceptiques eux, sont sûrs et leurs tactiques de communication sont fortement ancrées sur le dénigrement individuel des scientifiques.

Nous l’avons tous constaté, amener le sujet du changement climatique sur la table avec nos proches ou collègues, fait généralement retomber l’ambiance et génère des stratégies d’évitement du sujet pour se protéger. Le changement climatique est un problème étrange et pernicieux car il transforme nos comportements sociaux (réussite professionnelle, consommation ,alimentation, mobilité, études, loisirs,..) , jusqu’ici vus comme positifs en comportements négatifs.

Au-delà des mots c’est le messager qui rend crédible le sujet. Les gens se laissent convaincre par des messagers qui leur inspirent confiance et fiabilité. Ce sont souvent ceux qui ont fait du chemin, viennent du parti opposé ou on pris des risques qui sont les plus écoutés. D’anciens militaires conservateurs peuvent faire d’étonnamment bons porte-étendards.

On a classé le changement climatique d’emblée dans les problèmes environnementaux. C’est donc resté l’affaire des écologistes, c’est à dire des gens considérés comme pas sérieux pendant longtemps.  Ils ont communiqué avec les codes des personnes qui adhéraient déjà au sujet.

Il existe aussi un récit positif qui dit que le changement climatique est une superbe opportunité.

Cette vision est portée par le monde des affaires et les politiques. Elle propose un monde factice pour cadre supérieur où consommer « propre » permet de continuer à consommer sans se poser de questions. 

Mais ce monde est un mirage qui ignore les inégalités sociales et masquent les conséquences des nouvelles technologies.

Coupables le pompiste et l’automobiliste?

Les solutions sont globalement pensées dans la perspective de réduire les gaz émis par les énergies fossiles. Mais on remet peu en question la production d’énergie fossile. Les grandes compagnies pétrolières utilisent un discours de limitation des risques et « d’enthousiasme » à faire changer les choses assez déconcertant. Mais il s’agirait plutôt de faire la promotion de nouvelles technologies ayant pour but de compenser les conséquences de notre mode de vie technologique.

En fait comme personne n’a la mauvaise intention de changer le climat, il n’y a pas de coupable. De plus les négociations et process internationaux nous donnent une illusion d’action qui paralyse la vraie action.

La question est réellement morale et éthique. Les campagnes moralisatrices et culpabilisantes (sur les enfants,..) ne fonctionnent pas. Ce qui marche le mieux c’est la pression sociale, la confiance, une bonne communication et l’effet de groupe.

Certains gouvernements comme l’Australie, particulièrement peu respectueux du climat dans leurs actions, ont fait des programmes qui incitaient à agir au niveau individuel. Ces programmes permettent à ceux qui sont déjà convaincus de se dédouaner de certains efforts et aux autres de confirmer leurs soupçons complotistes. Il faut un système où les efforts des individus et organisations sont récompensés et mesurés (taxes, dividendes, rationnement,..).

Un peu d’irrationnel pour transformer l’essai

« Vous y croyez ? » la question révulse les scientifiques. Il est plus juste de parler de conviction que de croyance. Mais les religions jouent leur part et c’est une erreur de l’écologie de ne pas vouloir frayer avec les croyances, qui sont en expansion dans le monde entier.

Le dialogue entre écologie et religion pourrait permettre d’approfondir l’implication, de se donner du courage pour passer à l’action. La religion est familière de la notion de sacrifice à faire pour un résultat incertain dans le long terme. La spiritualité construit ce genre de patience.

le pardon est un processus qui transforme le sentiment de culpabilité de reproche et de colère en émotions positives comme l’empathie et l’optimisme .

Quelques « bonnes pratiques » ni scientifiques ni rationnelles qui pourraient s’appliquer utilement au changement climatique:

  • partager des « valeurs clés »,
  • créer des espaces honnêtes où l’on est prêt à remettre en question nos certitudes, dépasser la culpabilité, pour découvrir de la joie dans une vie nouvelle.
  • amener la discussion par le biais de personnes légitimes et respectées dans leurs communautés
  • partager du vécu et des témoignages
  • prendre un engagement au sein du collectif.
  • préférer les récits qui sont une quête, une recherche collective plutôt que la chasse à l’ennemi
  • Imaginer et partager des moments festifs, artistiques et symboliques qui renforcent le lien et la motivation

d’autres pistes pour retrouver de l’élan

Je finirais cette synthèse sur un point qui est porteur d’espoir et qui m’a particulièrement aidé à avancer: douter n’est pas un problème quand on partage son expérience dans un collectif où la conviction reste profonde et la bienveillance et la confiance sont fortes.